Le 25 juin 2025, la Commission européenne a publié au Journal officiel de l’Union européenne la version non-confidentielle de sa décision relative à la sentence arbitrale rendue en 2018 en faveur d’Antin contre l’Espagne, sur le fondement du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE). Elle y conclut que cette sentence constitue une aide d’État incompatible avec le marché intérieur.
Le différend trouve son origine dans des investissements réalisés par Antin dans le secteur solaire espagnol, à la faveur d’un régime d’aides adopté en 2007 puis révisé en 2013. La sentence arbitrale CIRDI, favorable à l’investisseur, avait condamné l’Espagne à verser plusieurs centaines de millions d’euros.
Pour qualifier la sentence d’aide d’État, la Commission s’appuie notamment sur l’arrêt Micula rendu par le Tribunal de l’Union en octobre 2024. Mais l’originalité de cette décision réside surtout dans son chapitre final, intitulé « Prévention de la mise en œuvre de la sentence et récupération ». La Commission ne se contente pas de prévoir la récupération des sommes qui pourraient être versées : elle entend également empêcher toute exécution, y compris dans les États membres et au-delà.
Deux extraits de la décision de la Commission sont particulièrement marquants. D’une part, le paragraphe 286 enjoint aux juridictions nationales, y compris celles des États membres non espagnols, de « s’abstenir de reconnaître, d’exécuter ou de mettre en œuvre la sentence et de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher la reconnaissance, l’exécution ou la mise en oeuvre de la sentence (par exemple, en ordonnant aux entreprises relevant de leur juridiction de cesser toute action visant à obtenir la reconnaissance ou l’exécution de la sentence dans d’autres juridictions, et en les condamnant à payer des astreintes en cas de non-respect de cette injonction de cessation) ». D’autre part, le 3ème point du dispositif impose à l’Espagne de prendre toutes mesures utiles pour empêcher Antin – ou tout cessionnaire de la sentence – de chercher son exécution, que ce soit dans l’Union ou dans des pays tiers.
Cette décision s’inscrit potentiellement en réponse au refus, en 2024, du tribunal régional d’Essen (Allemagne) de prononcer une anti-enforcement injunction afin d’interdire l’exécution de la sentence. Elle soutient également les démarches entreprises par l’Espagne devant les juridictions du Luxembourg, du Royaume-Uni et des États-Unis pour bloquer les procédures d’exécution.
La portée de cette décision suscite un vif débat. D’un côté, elle illustre la détermination de la Commission à mettre un terme à l’arbitrage d’investissement intra-UE en matière d’énergie. De l’autre, elle soulève de délicates questions de souveraineté : les juridictions de l’Union ne peuvent pas empêcher celles d’États tiers de reconnaître et d’exécuter la sentence. L’extraterritorialité que la Commission entend conférer au droit de l’Union reste ainsi très discutée.