Par un arrêt rendu le 11 février 2025, la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles a révoqué l’injonction anti-suit que la banque allemande UniCredit Bank GmbH avait obtenue contre la société russe RusChemAlliance LLC (RCA). Cette affaire, emblématique des tensions entre l’arbitrage international et les sanctions, met en lumière les défis auxquels sont confrontés les acteurs économiques opérant avec des contreparties russes. Teynier Pic est intervenu dans ce dossier en qualité d’expert de droit français devant les juridictions anglaises.
Le litige trouve son origine dans la non-exécution par UniCredit de ses obligations en vertu d’une garantie à première demande. Alors que le contrat prévoyait une clause compromissoire CCI avec un siège à Paris, RCA a saisi le tribunal de commerce de Saint Pétersbourg. Pour ce faire, RCA s’est appuyée sur une disposition du droit russe autorisant les juridictions nationales à se déclarer compétentes lorsqu’un mode de résolution des litiges convenu contractuellement devient inopérant en raison de sanctions.
En réaction, UniCredit avait obtenu une injonction anti-suit de la High Court à l’encontre de RCA, lui interdisant de poursuivre la procédure judiciaire en Russie, en invoquant le respect de la convention d’arbitrage. En retour, RCA a obtenu en Russie une contre-injonction interdisant à UniCredit de se prévaloir de l’injonction anglaise, sous peine d’une amende civile de 250 millions d’euros, et l’obligeant à prendre toutes les mesures afin d’empêcher l’injonction anti-suit anglaise de produire ses effets. Pour éviter l’amende, la banque a été contrainte de solliciter elle-même la levée de l’injonction anti-suit qu’elle avait initiée.
Par la décision commentée, la Cour a accepté la demande d’UniCredit de révoquer son injonction. La Cour a en effet considéré que, dans un litige opposant des parties privées, rien n’empêche une partie ayant été à l’origine d’une injonction, même devenue définitive, de pouvoir demander sa révocation en cas de circonstances nouvelles. Selon la Cour, les raisons d’ordre public ne pouvaient s’opposer à la révocation de l’injonction dans les circonstances de l’affaire ; la législation britannique en matière de sanctions ne semblait pas non plus être entravée.
Cette décision met en lumière la complexité des stratégies contentieuses dans les affaires impliquant des entités russes. Elle illustre également la manière dont les sanctions peuvent indirectement affecter la mise en œuvre des conventions d’arbitrage, et générer des conflits de juridictions difficiles à anticiper. Pour les entreprises, cette affaire rappelle la nécessité d’anticiper contractuellement les effets de mesures extraterritoriales sur les mécanismes de résolution des litiges, et de s’entourer d’équipes capables d’intervenir de manière coordonnée sur plusieurs scènes judiciaires ou arbitrales.