DISPUTE RESOLUTION BOUTIQUE

La Cour d’appel de Paris rappelle le standard élevé appliqué aux recours en annulation de sentences arbitrales fondés sur un manquement allégué de l’arbitre à son devoir de divulgation.

Cour d’appel de Paris, 19 septembre 2023 – n° 21/16159

Un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris, portant sur l’indépendance et l’impartialité des arbitres, met en évidence le standard strict et élevé appliqué par les tribunaux français aux demandes d’annulation d’une sentence arbitrale fondées sur le défaut de divulgation par un arbitre de ses relations avec une partie.

En l’espèce, dans une affaire opposant la société grecque de production d’acier Halyvourgiki à la Compagnie publique d’électricité grecque ou Power Public Corporation PPC »), la Cour d’appel de Paris a examiné un recours d’annulation contre une sentence CCI déposé par cette première pour cause de composition irrégulière du tribunal et de violation de l’ordre public international.

La société Halyvourgiki reprochait à l’arbitre nommé par PPC des manquements à son obligation, en vertu de l’article 1456 du Code de procédure civile, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité. Bien que l’arbitre n’ait rien signalé dans sa déclaration d’indépendance ni dans son curriculum vitae, des diligences menées au cours de la procédure d’arbitrage par la société Halyvourgiki ont révélé des relations professionnelles et personnelles qu’il a entretenues, pendant 30 ans, avec PPC caractérisant, selon elle, un courant d’affaires et un conflit d’intérêts.

Plus précisément, l’arbitre avait omis de révéler :

  • Onze nominations antérieures, de 1989 à 2019, dans des affaires du secteur industriel sidérurgique et/ou énergétique en tant qu’arbitre désigné par PPC ou par des sociétés publiques y étant liées par leur actionnaire principal, l’Etat grec. Celles-ci incluaient notamment deux autres nominations en tant qu’arbitre par PCC, dont la dernière remontait à 2015, et une nomination par la filiale de PCC en 2017.
  • La rédaction de dix avis juridiques rémunérés par PPC dans des affaires en contentieux ou arbitrage, 1989 à 2016.
  • La rédaction de cinq avis juridiques rémunérés par la filiale de PPC jusqu’en 2009, en sus de huit autres avis juridiques rémunérés par des sociétés liées à PPC, de 1989 à 2016.
  • Son appartenance au conseil juridique de PPC pendant 4 ans, de 1989 à 1993 ; et
  • L’emploi de son épouse en tant que juriste salariée au sein de PPC pendant vingt ans, de 1992 à 2012, dont celle-ci était maintenant retraitée et bénéficiait, à ce titre, de réduction sur les factures d’électricité.

En réponse, PPC soutenait que ces liens n’avaient pas à être déclarés car, d’une part, les règles de l’International Bar Association (« IBA ») retiennent une période de trois ans pour la révélation de circonstances antérieures à la nomination d’un arbitre et car, d’autre part, ces circonstances sont notoires dans le cercle de l’arbitrage du secteur énergétique en Grèce.  PPC plaidait aussi qu’en tout état de cause, les circonstances prétendument nouvelles n’étaient pas susceptibles de susciter un doute raisonnable sur l’indépendance de l’arbitre.

La Cour d’appel a rejeté le recours d’annulation. Celle-ci a d’abord rappelé que l’absence de divulgation d’informations par un arbitre ne suffit pas en soi à caractériser son manque d’indépendance ou d’impartialité, mais que cette absence doit se rattacher à des éléments susceptibles de provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à son impartialité et à son indépendance, défini comme un doute qui peut naître chez une personne placée dans la même situation et ayant accès aux mêmes éléments d’information raisonnablement accessibles.

Faisant sienne les lignes directrices de l’IBA, la Cour d’appel a estimé en l’espèce que les relations de de l’arbitre avec PPC étaient trop éparses et, remontant à une période au-delà de trois ans, trop anciennes pour faire l’objet d’une obligation de révélation.

De surcroît, la Cour d’appel a précisé que les circonstances alléguées, même prises ensemble, ne suffisaient pas à « établir l’existence d’un courant d’affaires suffisamment significatif […] propre à affecter [l’] indépendance d’esprit » de l’arbitre au motif notamment que onze nominations sur trente ans, au vu du nombre limité d’arbitres dans le milieu professionnel en cause, ne caractérisaient par un courant d’affaires; que la rédaction d’avis juridiques avait été ponctuelle ; que PPC n’appartenait pas au même groupe et qu’elle n’exerçait aucun contrôle sur les sociétés publiques qui lui étaient liées par leur actionnariat ; et finalement que l’épouse de l’arbitre étant retraitée et bénéficiant d’un tarif préférentiel encadré par la loi , celle-ci ne bénéficiait pas d’un intérêt financier ou personnel substantiel au regard des principes de l’IBA.  Ainsi, la Cour a conclu qu’aucune des informations non divulguées par l’arbitre ne créait un doute quant à son indépendance et son impartialité.

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