DISPUTE RESOLUTION BOUTIQUE

Illustration d’une exception de fraude à la sentence arbitrale entraînant le refus d’exequatur d’un jugement étranger

Deux sociétés de droit italien, « BEG » et « Enelpower », ont conclu un accord de coopération pour la construction et l’exploitation d’une centrale hydroélectrique en Albanie.

La société Enelpower ayant pris la décision de ne pas poursuivre le projet, la société BEG a, en application de la clause compromissoire stipulée aux termes du contrat, saisi un tribunal arbitral de demandes indemnitaires. Ces demandes ont été rejetées par une sentence rendue le 6 décembre 2002, laquelle a été déclarée exécutoire en Italie.

En mai 2004, la société albanaise créée spécifiquement par la société BEG pour la réalisation du projet de centrale, a assigné la société Enelpower devant une juridiction albanaise en paiement de dommages et intérêts, pour avoir prétendument été maintenue dans la croyance que ce projet se réaliserait.

Par un jugement en date du 24 mars 2009, confirmé en appel, le tribunal albanais a fait droit aux demandes de la société albanaise et a condamné la société Enelpower à lui payer diverses sommes en réparation de son préjudice extracontractuel. La société albanaise a alors sollicité l’exequatur en France de ce jugement. La société italienne s’est opposée à une telle demande, sur le fondement de la sentence arbitrale de 2002, en faisant valoir l’autorité de chose jugée et la fraude à la sentence.

Par un arrêt en date du 4 mai 2021 (RG 18/02914), la Cour d’appel de Paris a refusé de faire droit à la demande d’exequatur du jugement albanais, en retenant que, si la société BEG n’était pas directement partie à l’instance devant le tribunal albanais, elle avait cependant agi devant celui-ci en « interposant artificiellement sa filiale albanaise ».

La Cour d’appel a relevé que la société albanaise avait fait l’objet, quelques mois avant l’introduction de l’action devant les juridictions albanaises, d’une modification apparente de son actionnariat destinée à induire en erreur sur son autonomie par rapport à la société BEG dont elle restait en réalité sous l’entier contrôle.

La Cour d’appel a retenu qu’au regard de la similarité des faits et des moyens invoqués, et du préjudice allégué dans les procédures arbitrale et albanaise, l’action engagée devant les juridictions albanaises avait en réalité le même objet que celle initiée devant le tribunal arbitral, à savoir faire constater que la société Enelpower avait violé l’accord de coopération. L’action tendait en réalité à obtenir indirectement ce que la société BEG avait échoué à obtenir directement du tribunal arbitral.

La Cour de cassation confirme l’analyse retenue par la Cour d’appel, en faisant valoir qu’elle avait justement pu retenir que le jugement avait été obtenu par fraude, ce qui justifiait le refus d’exequatur.

Cette affaire est doublement intéressante en raison d’une autre procédure initiée par la société BEG devant la Cour européenne des droits de l’Homme (« CEDH »), à la suite du rejet par les juridictions italiennes de sa demande d’annulation de la sentence arbitrale pour défaut d’impartialité du co-arbitre désigné par Enelpower.

Devant la CEDH, BEG invoquait une violation de son droit à un procès équitable en vertu de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, parce qu’un des co-arbitres avait été précédemment vice-président du conseil d’administration, ainsi qu’avocat, de la société-mère d’Enelpower.

Aux termes d’un arrêt en date du 20 mai 2021, la Cour a conclu à la violation de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, dans la mesure où les doutes de la société BEG sur l’impartialité de l’arbitre nommé étaient objectivement justifiés. Alors que BEG demandait a minima des dommages-et-intérêts à hauteur de ses demandes dans la procédure arbitrale et des coûts de cette procédure (pour un montant cumulé supérieur à 395 millions d’euros), la CEDH lui accorde seulement 15 000 euros de préjudice moral et 35 000 euros au titre des frais de la procédure devant cette cour.

Les tentatives de la société BEG devant les juridictions françaises et européennes visant à neutraliser la sentence arbitrale rendue en sa défaveur ont donc toutes deux en définitive échoué.

 

Civ. 1, 17 mai 2023, n° 21-18.406

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