DISPUTE RESOLUTION BOUTIQUE

Le Tribunal fédéral suisse confirme la compétence d’un tribunal arbitral pour connaître d’un litige intra-européen fondé sur le TCE

Tribunal fédéral suisse, arrêt du 3 avril 2024, 4A_244/2023

Par arrêt du 3 avril 2024, le Tribunal fédéral suisse a admis la possibilité pour un tribunal arbitral de connaître d’un litige intra-européen fondé sur l’article 26 du Traité du 17 décembre 1994 sur la Charte de l’Energie (« TCE »).

Le différend concernait l’investissement d’une société française dans des installations photovoltaïques en Espagne. Après que le Royaume d’Espagne a changé sa règlementation en matière d’énergie renouvelable dans un sens moins favorable aux promoteurs, la partie privée avait initié une procédure d’arbitrage contre le Royaume d’Espagne en vertu de l’article 26 du TCE.

Par une sentence rendue à Genève le 11 avril 2023, le tribunal arbitral s’était déclaré compétent pour connaître du litige. Estimant que le Royaume d’Espagne avait enfreint l’article 10 du TCE en n’accordant pas un traitement loyal et équitable aux investissements de la demanderesse, il l’avait condamné à payer une indemnité de 29,6 millions d’euros.

Le Royaume d’Espagne avait alors formé un recours en annulation contre cette sentence devant le Tribunal fédéral suisse en invoquant, notamment, l’incompétence du tribunal arbitral dès lors que le litige présentait un caractère intra-européen, l’incompatibilité de la clause d’arbitrage prévue à l’article 26 du TCE avec le droit de l’Union européenne (« UE ») et la primauté du droit de l’UE sur le TCE en cas de conflit de normes. Son argumentation reposait principalement sur l’arrêt Komstroy de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») qui avait retenu l’incompatibilité de l’application intra-européenne de la clause d’arbitrage investisseur-Etat du TCE avec le droit de l’UE (NDLR : Teynier Pic avait plaidé le dossier Komstroy devant la CJUE puis devant la Cour d’appel de Paris).

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que depuis plusieurs années, les organes de l’UE mènent une « croisade » contre de tels arbitrages internationaux.

Il poursuit en indiquant ne pas ignorer l’arrêt Komstroy mais n’être pas « convaincu » par le raisonnement adopté « puisqu’il se base essentiellement, sinon exclusivement, sur l’exigence de préservation de l’autonomie et du caractère propre du droit de l’UE, sans nullement tenir compte du droit international ni des règles d’interprétation des traités ». Soulignant que les juridictions suisses ne sont pas liées par les décisions prises par la CJUE, le Tribunal fédéral juge qu’il n’accordera pas de « valeur particulière » à l’arrêt Komstroy.

Le Tribunal fédéral ajoute que le TCE doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. En l’espèce, il considère que les signataires du TCE ont consenti inconditionnellement à l’arbitrage. Le Tribunal soutient que si ce consentement avait été limité d’une quelconque manière, cela aurait été indiqué dans le TCE comme cela a pu être le cas dans d’autres traités multilatéraux qui intègrent des clauses de déconnexion, autorisant les États membres de l’UE à ne pas appliquer les règles d’un tel traité dans leurs relations mutuelles.

Le Tribunal fédéral juge donc que :

  • le consentement inconditionnel donné par le Royaume d’Espagne à la soumission de tout différend à une procédure d’arbitrage englobe les litiges intra-européens (para. 7.7.6.) ;
  • il n’existe pas de conflit entre l’article 26 du TCE et les traités de l’UE (para. 7.8.2.) ; et
  • il n’y a pas de raison, au regard des règles de conflit entre les traités internationaux, de faire primer le droit de l’UE sur le TCE (para. 7.8.3.).

En conséquence, le Tribunal fédéral suisse rejette le recours en annulation formé par le Royaume d’Espagne à l’encontre de la sentence arbitrale rendue le 11 avril 2023 et le condamne au paiement des frais de la procédure et des dépens.

Une telle décision est particulièrement favorable aux arbitrages d’investissement intra-européens dès lors qu’ils seraient basés en Suisse. Toutefois, sa portée doit être relativisée dès lors que l’exécution de telles sentences reste susceptible de poser problème au sein des Etats membres de l’UE. En tout état de cause, la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse ajoute un peu plus de désordre à l’arbitrage d’investissement, lequel n’en a pas besoin dans un contexte international marqué par la remise en cause croissante de sa légitimité.

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